2010 restera une étrange année pour U2. Une année de concerts, perdue entre la sortie de No Line On The Horizon en février 2009 et la promesse d’un futur album au printemps prochain. Une année sans repère où le groupe alterna entre surprises et déceptions.
Lorsque U2 monte sur scène à Turin le 6 août dernier, il ne fait que reprendre le cours du 360° Tour, laissé en suspens dix mois durant. Une pause prolongée par l’importante opération subie par Bono quelques semaines avant de s’envoler pour les Etats-Unis. Jamais un tel laps de temps ne s’était écoulé entre deux legs dans la, pourtant longue, carrière du groupe. Les concerts succédaient aux albums à intervalles réguliers, sans sortie de route. Mais cette tournée, au nom très vaste – également une première, donnait volontairement une latitude plus grande aux Irlandais. Le désormais presque enterré, Song Of Ascent, devait venir pimenter l’année 2010, il n’en reste qu’un coup marketing. Il y eut donc trente-deux concerts, avec un certain goût d’inachevé.
U2 avait entrepris de mettre du neuf dans sa setlist. Et ce qui s’avérait prometteur se transforma une amère déception. Disparition de morceaux emblématiques de No Line On The Horizon, une base quasi identique, un morceau d’ouverture inadapté et le retour de vieilleries sans saveur. En quittant le stade Olimpico, les craintes étaient nombreuses sur ce que serait 2010. Et pour quelques concerts qui suivirent, elles se justifieraient amplement.
Pourtant un soir, à Zurich, tout s’emballe. Le fameux «Lift Off» que recherchent ces musiciens plus grands que nature. Passé l’ennui et le boulot accompli sans ferveur, U2 retrouve sa flamme. Après les devoirs imposés par Live Nation, les Irlandais relancent la machine. Exactement au moment où ils viennent se frotter à un public connaisseur, qui ne se contenterait pas d’un majeur levé pour mouiller sa couche confort. U2, le vrai, celui qui est probablement une des plus grandes merveilles live que l’industrie musicale n’ait jamais donné, se mérite. Et tant pis pour ceux qui ne font pas partie du clan. L’Espagne, L’Italie, La France, l’Angleterre, l’Allemagne résonnent autrement dans le cœur de ces quatre types aux incessants besoins de challenges. Pour les autres, sauf soir d’enregistrement, il faudra se contenter du minimum syndical. Cruelle réalité. Un service minimum dont ne bénéficiera pas le Japon. Pour la première fois depuis 1984, le pays ne figurait pas au planning d’une tournée dans cette partie du globe. Il fallait sans doute acheter plus de disques.
2010 est aussi une année d’inédits. Return Of The Stingray Guitar, Mercy, North Star, Glastonbury, Every Breaking Wave, A Boy Falls From The Sky, six morceaux jamais sortis dans les bacs ont fait leur apparition en live. Avec plus ou moins de succès, mais avec l’indéniable intention d’innover. Il y eut même de belles surprises, Hold Me Thrill Me Kiss Me Kill Me, Love Rescue Me et l’improbable arrivée de Scarlet, oublié par l’intégralité des fans, sauf Willie Williams à l’origine du remplacement de MLK. Il serait donc injuste de mettre à l’index un groupe qui a finalement fait sa révolution de palais, modifiant près d’un tiers de son concert d’une année sur l’autre. Mais le fan, le vrai ou le faux, en tout cas celui qui fréquente les pages de Sucking Rock And Roll, ne peut s’empêcher d’avoir un pincement au cœur. Comment expliquer le désaveu subit par No Line On The Horizon ? Dire que les ventes furent loin des attentes d’un groupe comme U2 fait partie de la vérité, mais ce n’est sans doute pas tout.
Ce groupe, avec une acuité toute particulière, sent lorsque sa musique lui échappe et qu’il ne parvient pas à en tirer tout son potentiel. Non que ces morceaux ne retrouvent pas leur intensité en phase concert, bien au contraire, il s’agit plus simplement d’une magie qui ne se fait pas. Alors bien sur il fallait remplir des stades qui ne l’étaient pas. Oui il fallait rassurer le public américain : U2 était toujours un groupe bien de chez eux et n’était pas devenu Européen et snobinard. Il a donc fallu trancher dans le vif. Virer le morceau d’ouverture, trop emblématique. Supprimer les ultimes – et infimes – références au Maroc, pour cause d’islamophobie persistante. Et tant qu’à faire, mettre de côté le titre éponyme.
A l’instar d’October, Zooropa et Pop en leurs temps, No Line On The Horizon a déjà (trop ?) vécu. Si l’opus produit par Danger Mouse fait bien son apparition au printemps 2011, ses dernières scories ne devraient pas lui survivre. Ainsi va la vie d’un groupe qui ne se pose pas de questions. Ou pas les bonnes. Ou pas celles que certains fans souhaiteraient. Aimer U2, c’est accepter de ne pas vivre complètement dans le XXIème siècle. De ne pas attendre plus qu’ils n’aient jamais donné. Et pire encore pour un fan, être raisonnable.
U2 nous déçoit plus souvent qu’il ne devrait, flirtant régulièrement avec la zone de non retour. Ce moment où la lassitude prend le pas sur l’engouement. Eh puis surgissent des albums si surprenants qu’ils vous glacent le sang. Arrivent des concerts où le groupe vous transporte, vous faisant croire que ce que vous vivez est unique. L’année 2010 ne sera pas de celles qui marquent leur carrière, mais en certains soirs, ces quatre types ont prouvé qu’ils étaient encore prêts à nous botter le cul. De quoi leur accorder un nouveau crédit. Encore un.